Ce mercredi soir, ce n'est point la grande affluence au palais des congrès de Cotonou. Le public qui s'est déplacé est en majorité, adulte. Peu de jeunes investissent les lieux.
Avant le visionnage du film, le réalisateur du film au programme, Ironu, Sourou François Okioh, vêtus d'un boubou blanc ,un chapeau sur la tête, la gorge nouée, les yeux brillants, a exprimé sa fierté de se retrouver dans cette salle pour revoir une énième fois son œuvre. Le mot introductif, terminé, Ironu prend place.
Ironu, jeune journaliste, directeur de publication du journal " La voix du peuple" est recherché par la police. Homme de principe, Ironu à travers son journal revendique, informe et dénonce les abus, les dérives du pouvoir central de la République d'Idjani. C'est la voix de la contestation. Il est accusé par la justice d'apologie de crime. Il est condamné à 6 mois de prison. Il purge sa peine et s'exhile en France. 4 ans plus tard, il décide de retourner dans son Idjani natale.
LIRE AUSSI : FINAB 2025 : le ballet Djoliba offre « la Mère » à Cotonou
Nombreux de ses amis, ses camarades de luttes font désormais partie de l'appareil d'État. Une fois au pays, il est nommé directeur de la planification dans un ministère. Ironu est consciencieux. Il prend son rôle à cœur. Il étudie chaque dossier avec minutie. Il visite les chantiers, constate l'évolution des travaux, interpelle, rappelle à l'ordre et s'insurge.
Un quarantenaire capricieux
Arrivée à ce point culminant de la production, la projection s'arrête brusquement. Un problème technique. Après quelques minutes de silence de petits murmures se déclenchent dans la salle.
Les spectateurs plongés dans le noir, calmes et attentionnés jusque-là, commencent alors à s'interroger. Malgré les multiples tentatives de la technique pour résoudre le problème, elles sont restées lettres mortes.
La renaissance
Comme Ironu qui signifie renaître, le spectacle a repris de plus belle, mais cette fois avec les principaux protagonistes de la fiction qui se tenaient sur l'estrade de la salle. Gratien Zossou dans le rôle d'Ironu, le réalisateur et scénariste François Okioh et quelques autres membres actifs de ce projet.
Entre nostalgie et anecdotes, le réalisateur fait des confidences. Il révèle que très peu d'acteurs ayant joué dans ce film sont encore vivants. Il raconte qu'au cours du tournage, en manque de moyens financiers, ils ont dû se sustenter à crédit chez une vendeuse de haricots dans une gargote.
LIRE AUSSI : FESPACO 2025 : le cinéaste burkinabè Dani Kouyaté remporte l'Étalon d'or du Yennenga
Aux plus curieux, qui découvraient cette réalisation, le septuagénaire spoile la fin. Ironu dans son élan de probité et de justice se heurte à un pouvoir gangrené par la corruption. Ses compagnons d'autrefois deviennent des tortionnaires assumés. Torturé, puis emprisonné, il meurt. Une mort qui engendre une révolte populaire.
Une thématique intemporelle
La fiction Ironu sort en 1985. C'est une production qui voit le jour à une époque de l'histoire du Bénin à laquelle la révolution battait son plein. Un seul parti animait la vie politique, le Parti de la révolution populaire du Bénin, PRPB. Les médias, cantonnés à un rôle de griot. La corruption à son paroxysme. Une population qui croule sous la faim. Les salaires impayés. La liberté d'expression, une denrée insaisissable. Un service de renseignement équipé, aux trousses des plus téméraires qui dénoncent l'arbitraire.
Dans un tel contexte, Ironu sonne comme un miroir de la société, un ras-le-bol, une conscientisation de la masse, une volonté de changement de paradigme face à un tableau aussi inique. Ces 90 minutes d'enchaînement de séquence est un acte de courage, une contribution à la révolte populaire qui aboutira 5 années plus tard, conduisant à l'organisation de la conférence des forces vives de la Nation de 1990. Cette œuvre est d'ailleurs récompensé perche d'or pour en 1987 au festival panafricain du cinéma et la télévision de Ouagadougou (Fespaco).
Le FinAB dresse le tapis rouge pour François qui aura montré la voie à nombreux de ses jeunes dans la sphère du cinéma mais surtout de la fiction. À l'ouverture du FinAB, il est gratifié d'une récompense honorifique pour l'ensemble de sa carrière.
40 ans après, le sujet que dépeint son film est toujours d'actualité dans les pays africains. Les opposants jetés en prison, les gouvernants s'empiffrent des avoirs du contribuable sans être inquiétés et une justice aux ordres. 40 ans plus tard, les mêmes démons, nous combattons.
Commentaires